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© cécile hug

Avec les voix de Laurence Bourgeois, Cécile Hug et Jean-Philippe Sadoux
à la technique Florian Auffray

Toute la Culture
Mirabilis, exposition de Cécile Hug, entretien avec l’artiste

© Anthony Bonici


23 AVRIL 2022 | PAR PAULINE LISOWSKI

Viviane Zenner invite Cécile Hug à proposer une installation in situ au sein de l’église des Trinitaires de Metz. Dans son exposition « Mirabilis », les rayons de lumière qui traversent les vitraux illuminent mille mirabelles que l’artiste a délicatement modelé.

Pauline Lisowski : De quelle manière la nature est pour vous source d’inspiration ?

Cécile Hug : La nature est davantage qu’une source d’inspiration. Elle est source de vie. Sans elle, on ne respire pas. Je l’observe, l’écoute, lui parle aussi parfois, et tâche humblement de lui rendre hommage à travers mes créations. Je la remercie. Elle m’inspire de mille façons. Là, par exemple, depuis les Pyrénées Audoises, où je vis désormais, lorsque je regarde par la fenêtre la colline située à ma gauche, un nombre incalculable de verts s’offre à mes yeux. Ce sont ces nuances que j’ai tenté de retranscrire avec cette allée printanière présentée dans la nef des Trinitaires.

Blé, olives, coquelicots, et mirabelles à présent, se retrouvent à profusion dans mon travail. Mais avant qu’ils trouvent leur place dans mes installations ou dessins, avant que je les façonne, il y a toujours une grande phase de contemplation, d’imprégnation.

Plus je grandis et plus je m’aperçois que la nature nourrit non seulement mon travail, mais aussi mes relations aux autres. Une relation, lorsqu’elle n’est pas intimement liée à la nature, n’en est pas tout à fait une à mes yeux. Elle marque peu mes souvenirs. Alors que quand je suis auprès d’une personne, et que tous deux nous nous imprégnons ; d’un arbre, d’un chaîne de montagnes, d’une rivière, quelque chose se passe. Quelque chose s’inscrit.

PL : Vous donnez à voir l’extraordinaire multitude de coloris et de formes des fruits et des feuilles. Vous nous incitez alors à contempler la beauté de ces mirabelles qui enchantent nos papilles. Au sol, celles-ci font écho au plaisir de la cueillette. Quelle est l’origine de l’installation ?

CH : Artiste cueilleuse, c’est ainsi que je me définis. Née au bord du lac Léman, de parents vignerons, j’appris très tôt à magner le sécateur, à observer avant de choisir la juste coupe, enfant je participais aux vendanges. Mon travail me permet de prolonger ce geste transmis.

Mirabilis est née d’une rencontre. Il y a plus de deux ans, après avoir vu mon installation à partir du poème de Garcia Lorca « Arbolé, arbolé » à l’occasion de ma résidence à Bocs Art en Calabre, Italie, Viviane Zenner, commissaire de cette exposition, m’a invitée à concevoir une installation pour les Trinitaires. Je l’ai interrogée sur les ressources naturelles de Lorraine. Elle m’a répondu : les mirabelles. Ça a été l’élément déclencheur. Un univers de jaunes se déployait déjà dans mon imagination. Mille mirabelles dans le chœur de l’église, à même le sol, telle a été ma proposition. Et puisqu’avant la récolte, il y a le printemps, cette allée de feuilles, dans la nef, m’est apparue comme une évidence. Je percevais la dimension de labeur qui s’ouvrait devant moi. Un travail qui allait s’échelonner dans le temps et qui allait me permettre de poursuivre mes recherches autour des répétitions et des variations. Mirabilis a mis deux ans à éclore.

La mirabelle est le fruit emblématique de Lorraine et bénéficie d’une indication géographique protégée, IGP. À Metz, elle est célébrée chaque année au mois d’août, avec une première édition en 1947 et une pérennisation à partir de 1954.

PL : Des souvenirs de contemplation, de récolte et de dégustation de ces fruits peuvent surgir en regardant vos œuvres, au sol… Quelles références ont nourri votre travail artistique ?

CH : La rencontre avec les visiteurs messins découvrant Mirabilis a été particulièrement émouvante. La mirabelle constitue leur patrimoine naturel. Nombreux sont ceux qui ont eu envie de partager leurs souvenirs d’enfance ; des moments de cueillettes, de saveurs. Nombreux sont ceux aussi qui savent que les récoltes sont hasardeuses et précieuses. Certaines années sont marquées par des gelées tardives. Pour que les fruits arrivent à maturité, il y a tout un ensemble de facteurs climatiques qui jouent un rôle essentiel.

Ce qui a accompagné, nourri ce travail artistique, c’est avant tout l’observation de la nature. J’ai essayé de me placer au plus près d’elle, de vivre à son rythme, d’avancer peu à peu. J’aurais envie de dire qu’elle a été ma seule référence.

Au commencement, il y a eu la récolte des mirabelles. Puis la phase de moulage, suivie par celle du plâtre. Enfin je les ai peintes une à une, en m’évertuant à reproduire toutes leurs variétés de couleurs. Mais bien que certains visiteurs puissent avoir l’illusion d’être face à de vraies mirabelles, je n’ai à aucun moment eu la prétention d’égaler la nature. Car quoi de plus beau qu’un véritable parterre de fruits tombés d’un arbre ? La pérennité, c’est peut-être ce que je leur ai apporté. Alors que les cueillettes de demain sont incertaines, mes mirabelles resteront mûres au fil des saisons. L’allée de feuilles sera toujours d’un vert printanier, comme si un avenir était encore possible. Et puis, il y a cet écrin, l’église des Trinitaires.

PL : Vos œuvres témoignent d’un long travail méticuleux, délicat de façonnage, puis de positionnement. De quelle façon l’architecture des Trinitaires vous a-t-elle guidé dans la mise en scène de cette installation ?

CH : L’architecture d’une église répond à des lois précises. Son orientation, la délimitation et le rôle des différents espaces ne sont pas laissés au hasard. Tout est savamment pensé. Et c’est en pleine conscience de la valeur architecturale et symbolique des Trinitaires que j’ai investi ce lieu.

Les feuilles vertes sont disposées dans la nef. Elles se situent dans le champ accueillant les fidèles. Nous sommes du côté de l’humain. J’ai voulu donner la sensation d’un alignement parfait. Les écarts entre chaque feuille sont millimétrés. Comme si les futurs printemps ne se construiraient pas sans effort.

En revanche, dans le chœur où se déploient les mirabelles, plus de mesures. Les fruits donnent l’impression d’être tombés de l’arbre de manière aléatoire et forment une constellation inversée. Nous sommes dans l’espace sacré, surélevé. Celui dans lequel les fidèles ne pénètrent pas, pas plus que les visiteurs. La mère nature donne à voir son offrande. On peut s’en rapprocher, mais pas y accéder.

PL : En ce début de printemps, l’installation amène à regarder au sol, plutôt que vers le ciel. Les fruits sont déjà tombés de l’arbre et il suffit de s’arrêter pour percevoir la diversité de leurs formes et couleurs. Quelle sensation souhaitez-vous provoquer chez le visiteur qui découvre l’exposition ?

CH : Porter son regard vers le sol, c’est porter son regard vers la terre, là où les choses prennent racine.

Pour le visiteur qui entre dans l’enceinte des Trinitaires, je crois qu’il y a en premier lieu un appel de la couleur. Une vingtaine de mètres le sépare encore du chœur de l’église, mais il est naturellement attiré par le jaune des mirabelles. Alors il avance. Et puis quelque chose l’arrête ou du moins le ralentit. Il découvre le grand rouleau de feuilles. Elles sont là, au nombre de deux milles, pointant vers le ciel, de petites tailles, quelques centimètres à peine, humbles et fragiles. Progressivement il se rend compte du labeur. Et en reprenant sa marche, son rythme n’est plus le même.

Mirabilis est une invitation à la lenteur. Il y a un chemin à parcourir avant de parvenir aux récoltes. Prenons le temps de le contempler. La nature est généreuse, choyons-la. Et puis, essayons de rester modeste face à elle. N’oublions pas que notre vie en dépend.

PL : L’installation relève d’une certaine patience, d’une attention à chaque détail, d’où l’expérience d’un émerveillement face à l’agencement subtil des fruits et feuilles du mirabellier. Nous sommes ainsi invités à prêter attention à la beauté ainsi qu’à la fragilité des arbres fruitiers… Comment vous positionnez-vous en tant qu’artiste vis-à-vis des enjeux liés au changement climatique ?

CH : Bien que la plupart de mes œuvres donnent à voir une lueur d’espoir, je reste très pessimiste face aux enjeux liés au changement climatique. Le rapport du GIEC est on ne peut plus alarmant. La question environnementale devrait être une priorité au niveau mondial. Les dommages créés par l’humain sont hélas irrémédiables. Et que faisons-nous ? Au niveau européen par exemple, l’autorisation de la mise en culture des terres en jachères à des fins productives est proprement scandaleuse. La terre a besoin de repos.

Alors oui, je suis pessimiste. Mais j’essaie tout de même à travers mes créations de sensibiliser le public à cette question du devenir de notre planète.

La nature est précieuse. Et parce que je lui porte un amour inconditionnel, je continue à vouloir lui rendre hommage.

Mirabilis, une exposition de Cécile Hug proposée la curatrice Viviane Zenner,  un projet de la galerie Des jours de lune, hors-les-murs.

A découvrir jusqu’au 8 mai à l’église des Trinitaires, Metz


CÉCILE HUG, LA FANEUSE

Cécile Hug, La Faneuse

EN DIRECT / EXPOSITION LA FANEUSE DE CÉCILE HUG, ICI GALERIE PARIS
PAR CLARA PAGNUSSATT, COMMISSAIRE D’EXPOSITION INDÉPENDANT

Trouver sans avoir cherché, c’est trouver deux fois. Lorsqu’il s’agit d’un objet personnel, voire intime, c’est encore se retrouver soi-même, un peu. De cette expérience familière souvent anodine, il peut, avec le temps, comme une graine tombée à terre au gré du vent, surgir un germe qui fera son chemin.
Les photographies d’enfance de Cécile Hug sont comptées : à peine une quinzaine d’images, toutes regroupées dans un album. Un jour, au hasard d’un rangement, elle tombe sur la photo isolée d’une petite fille s’attelant à un tas de foin. Ce souvenir s’avère fécond chez celle qui se définit comme artiste cueilleuse, dont tout le travail tourne autour de la cueillette. Des végétaux, des insectes, des parties du corps recueillies dans des moulages qu’elle parsème au sol, à la manière d’un parterre de fleurs. Une telle foison, au fil du temps, annonce une moisson.
Il y a une noblesse dans la récolte du blé qui constitue la nourriture première de l’humain. La fenaison est un acte plus humble, une récupération de ce qui nourrit l’animal. Cependant il y a plus humble encore, le glanage. Un par un, les épis négligés sont recherchés le plus souvent par des femmes, des enfants, des oiseaux, loin de l’abondance des moissons.
Car si les œuvres de Cécile Hug évoquent les étendues dorées à perte de vue, la vue n’y trouve qu’un seul épi. Et l’on comprend que la faneuse est avant tout glaneuse, passant du geste horizontal du fauchage des herbes au mouvement vertical qui est comme une révérence devant la nature : la glaneuse scrute, distingue, s’abaisse, ramasse, se relève enfin. Et, se relevant, elle se voit, dans son indigence, revêtue d’une dignité nouvelle que lui confère cette proximité avec la nature, à l’instar de l’esclave hégelien qui par son intelligence de la nature acquise dans le travail imposé, devient supérieur au maître1. Ainsi, rien ne se perd tout est à prendre, à cueillir, comme le jour.
Cécile Hug dialogue avec la nature végétale et animale à travers les sens. L’œil qui a vu se fait témoin. Et si parfois les yeux se ferment ce n’est pas pour abandonner la nature mais pour mieux s’abandonner à elle, aux textures à la fois douces et revêches des épis, aux piaillements des oiseaux glanant un à un les grains délaissés, à l’enivrante « odeur amoureuse des foins coupés qui [s’exhale] matin et soir autour de la ferme »2 − la sensualité, toujours présente dans l’œuvre de Cécile Hug, est ici suggérée par les foins où les amants se cachent, à la fois le lieu qui suscite et accueille leurs ébats.
Ainsi, La Faneuse convoque une anthropologie écologique à travers ce dialogue du corps avec la nature aussi bien qu’une dimension historique du corps attelé aux travaux agricoles dont témoignent les représentations naturalistes du XIXème siècle3, avant l’industrialisation et les dérives de la surproduction. Elle se reconnaît par ailleurs dans le regard contemporain de Giuseppe Penone, qui double son œuvre amoureuse d’un regard amoureux sur la nature ; seulement, ses feuilles de laurier prolifèrent dans un espace clos4 tandis que dans les murs limités qui accueillent l’œuvre de Cécile Hug s’ouvre devant nos yeux un ample horizon d’épis verts, comme une promesse.
Loin d’une vision nostalgique, cette œuvre nous interpelle aujourd’hui. Chaque épi de blé se présente à nous, dans sa petitesse, comme une exaltation de la beauté de la nature qu’il nous faut préserver des atteintes qui la menacent. Adossés aux plumes de l’oiseau et aux cils des yeux humains, ils sont prolongation de la vie dans le vivant.
1 In G.W.F Hegel La phénoménologie de l’esprit, 1807
2 André Theuriet La Maison des deux barbeaux, 1879
3 Jean-François Millet Des glaneuses, 1857 ; Jules Bastien-Lepage Les foins 1877
4 Giuseppe Penone Respirer l’ombre 1999, Centre Pompidou
Clara Pagnussatt, commissaire d’exposition indépendant
Cécile Hug, L’horizon 2019. blé teinté sur bois, 35 x 169 cm. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, L’horizon, 2019. blé teinté sur bois, 35 x 169 cm. Photo Clara Pagnussatt
Vue d'exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt
Vue d’exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, La génétique 2019. Plâtre sur bois, 50x65 cm. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, La génétique, 2019. Plâtre sur bois, 50×65 cm. Photo Clara Pagnussatt
Vue d'exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt
Vue d’exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, Nuage de ciguë, 2019. Plâtre sur bois, 30x40 cm. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, Nuage de ciguë, 2019. Plâtre sur bois, 30×40 cm. Photo Clara Pagnussatt 
Cécile Hug, L’horizon 2019. blé teinté sur bois, 35 x 169 cm. Photo Clara Pagnussatt
Cécile Hug, L’horizon 2019. blé teinté sur bois, 35 x 169 cm. Photo Clara Pagnussatt
Vue d'exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt
Vue d’exposition Cécile Hug, La Faneuse. Photo Clara Pagnussatt








"Les oreilles et les tétons de Cécile Hug, artiste pétillante et singulière qui plonge dans l'intimité du corps".






Matricis - Écoutes fertiles

« L’écoute est peut-être l’activité la plus discrète qui soit.
C’est à peine une activité : une passivité,
une manière d’être affecté qui semble vouée à passer inaperçue.
Quelqu’un qui écoute, ça ne s’entend pas. »[1]


Visible depuis le parvis, dans l’espace étroit de la vitrine, un parterre d’oreilles semblable à un parterre de pâquerettes campe le sol de la galerie. À l’image de la Bellis perennis, cette petite plante au cœur jaune et à la corolle blanche qui se multiplie aux premières lueurs du printemps, les oreilles de Cécile Hug portent en elles cette puissance d’auto-engendrement. De même que la pâquerette n’est pas une fleur, mais un « capitule », dont chacun des pétales constitue une fleur en soi, tout comme l’est chacun des très fins tubes formant son cœur – les premières étant femelles et les secondes hermaphrodites –, les oreilles de Cécile Hug apparaissent comme la matrice d’un système fécond. Moulées sur l’oreille gauche de l’artiste et constituées de plâtre, de silicone, de maïzena, de pigments, de dentelle, de laine, de végétaux, ou de plumes, les oreilles évoquent, par leur cavité et leur composition, des archétypes féminins. Sexe de femme comme le sont les fleurs, matrice fertile comme l’est l’écoute au monde. Car si l’alliance forme / matériaux reste associée à la femme, dans ce qu’elle aurait de premier, de nourricier ou de délicat, le geste de Cécile est bien davantage une manière de ritualiser la reproduction, qu’elle soit biologique ou technique – moulée à l’identique et pourtant chaque fois différente. Ce protocole de ritualisation devient ainsi une invitation vers des forces supérieures, quoique tapies au ras du sol, comme le sont précisément les pâquerettes. Elles exaltent un « pouvoir par le bas »[2], un pouvoir qui vient du-dedans, de l’obscur, de la terre.
Discrètes et matricielles, les oreilles, sièges du sens de l’ouïe, jouent un rôle important dans l’équilibre, à l’instar de la « mère » dérivant du latin matricis. Aussi apparaissent-elles comme un élément susceptible de fournir un appui, une structure, servant à reproduire, guider ou créer. De la mère à la mer, Cécile Hug réactive son installation le Corps orchestre initialement accompagné d’une bande sonore. Se bouchant les oreilles de ses mains, l’artiste fait de son corps et de ses entrailles une symphonie silencieuse qui se déploie dans l’espace ambiant. Le bruissement intérieur – les pulsations, les battements du cœur, le sang qui fuse ou le désir qui monte –, celui qui nous accompagnait alors que nous étions lovés dans le liquide amniotique, se fait l’écho du chaos chuchotant qui habite le monde. Le symbole de la fleur se détache de son caractère passif, comme l’est celui qui entend. Il prend une capacité de transformation, d’écoute de soi, de l’autre et du monde.
De Nietzsche à Derrida, la pensée est une question d’oreille, de finesse d’écoute, d’attention et d’ouverture, comme la vulve ou la fleur qui, réceptives, accueillent la chaleur du soleil, le souffle du vent. Comparée à l’œil, Nietzsche disait de l’oreille, qu’elle donne accès à « une tout autre conception, merveilleuse, du même monde ».

Marion Zilio

[1] Peter Szendy, Écoute, une histoire de nos oreilles, Paris, Éditions de Minuit, 2001.
[2] Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, p. 39.




France Culture
Une interview de Céline du Chéné
Entrejambe, clématites et insectes frétillants de Cécile Hug

Le 12 décembre 2015


Cécile Hug : Le jardin des délices

« Cécile Hug » (éponyme), éditions Derrière la salle de bains, Rouen, 2014.

« Le corps orchestre »,  Manresa, Catalogne

Cécile Hug, entre jambe 6

Cécile Hug, L’entre jambe ©

Sur la rive d'un triangle intime Cécile Hug orchestre des jeux de patience. L'insecte devient une poussière d'aube, ruisselle sur l'entre-jambe. Il est en quelque sorte l'armoirie de l'amour. Il crée des courants ascendants : se découd une certaine étoile, se gomme l'éros trop voyant. Tout maraude dans une géométrie précise et précieuse. Le triangle devient oriflamme, l'insecte le remue tandis que la main rêve de caresser ses ailes au moment où il sème un grain pour récolter des lignes de vie.

Chaque dessin de Cécile Hug reste un processionnal. Il conduit en bordure d'un fantastique ravin. L'insecte crée la fable de la présence en fragments de l'essentiel. Le sexe féminin se fait syllabe et le coléoptère virgule blottie dans les mailles du désir. Il représente (comme la fourmi et même le spermatozoïde - ou ce qui lui ressemble) le symbole d'une jouissance buissonnière.

Cécile Hug bâti pour lui un abri sous les tempêtes, un terrier près de l'orifice des délices. Néanmoins chaque dessin devient un barrage pour les intrus, pour les voyeurs. Et Cécile Hug tisse des filets serrés, refuges de nos propres ailes, de nos attentes, douleurs, plaisirs.

L'artiste devient la subtile architecte de paysages intérieurs, la relieuse de désirs informulés en effaçant la pliure des ombres. Elle dessine des interdits, les racines profondes de la vie dans une diaphanéité confondante. 

Elle devient fomenteuse de chimères : ses lucioles font crisser la raison. Une  avancée sourde s'ébauche dans l'ornière aux tabous. Chasseur et proie, insectivore et victime des bestioles, au seuil de l'estuaire, le voyeur ou le voyeuse a le temps d'apprécier de petits morsures visuelles et de palper des songes. Délicieux.

Jean-Paul Gavard-Perret








BOUM BANG

Cécile Hug

L'immensité du seuil.


À une époque où nos représentations du sexuel – bien que sensément libéré – sont encore si près du trash (1), où le deuxième sexe se rebelle à poil sur l’autel d’un pouvoir phallocratique, la douce intimité de la chambre Cécile Hug palpite comme une veilleuse apaisante pour qui ce soir a peur du noir. Couleurs pastel, nature omniprésente, dedans-dehors exhibé sans jamais agresser. Je rentre dans l’œuvre de Cécile Hug comme dans un cocon. Il y fait chaud mais pas trop, ça m’apaise. Je n’ai plus peur de ma féminité et je voudrais me faire homme juste pour en parler mais la distinction se dérobe sous mes pieds. Loin d’être opposée elle est offerte, ouverte. Terre d’asile en commun: notre origine est douce, même lorsqu’elle est brisée. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper: la naïveté apparente des découpes en dentelle, son champ pictural de libellules, coquillages et autres brindilles ne se démonte pas. Elle parle de tout, même du mal – « Hic est sanguis meus » (2) et « Versiones de una Cicatriz » (3) nous disent les deux dernières expositions auxquelles elle a participé.
Cécile Hug, entre jambe 5
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug, entre jambe 6
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug, entre jambe 7
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug, entre jambe 8
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug, entrejambe, laine
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Douce, donc, la femme artiste. Mais engagée aussi, sans concession. Mère, elle a choisi de ne pas céder à l’appel rassurant d’une société qui conseille l’option « métier alimentaire » à qui doit assumer l’éducation d’un enfant. Ce détail biographique pourrait sembler sans importance s’il n’était lié précisément au cœur de la production de Cécile Hug: la résistance, l’espace, la liberté. Sortir de l’endroit où la peur et la culpabilité dominent, puis maintenir le cap. Il ne faut pas s’y tromper, à l’image de ces danseurs dont la légèreté et la fluidité fascinent: plus l’objet lévite en douceur, plus la lutte pour sa production est totale. Il faut donc en ce sens rejoindre la pensée d’un Gilles Deleuze sur la création et comprendre que l’œuvre est ici l’affirmation d’une force conjointe à sa délicate apparence. « L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l’information et la communication, oui, à titre d’acte de résistance (…) Or quel est cet acte de parole qui s’élève dans l’air pendant que son objet passe sous la terre? Résistance. Acte de résistance. » (4) Je regarde les entre-jambes et je découvre les oreilles délicates du corps orchestre. Je me sens bien. L’artiste me donne à voir du réconfort tandis que « son objet passe sous la terre ». C’est-à-dire: doucement, sans heurts, je me mets à sortir des dichotomies, à renouer avec un sensible d’avant la parole, à voir mon corps et mes sens libérés des étiquettes qui les encombraient. Je suis.
Cécile Hug, corps orchestre
Cécile Hug, Le Corps orchestre ©
Cécile Hug, le corps orchestre, la marbrerie, 2014
Cécile Hug, Le corps orchestreLa marbrerie, 2014
Cécile Hug, le corps orchestre, la marbrerie, 2014
Cécile Hug, Le corps orchestreLa marbrerie, 2014
Cécile Hug
© Cécile Hug, Le corps orchestre ©
Cécile Hug
© Cécile Hug, Le corps orchestre ©
Cécile Hug
© Cécile Hug, Le corps orchestre ©
Cécile Hug
© Cécile Hug, Le corps orchestre ©
Organes-seuil, les parties du corps représentées par Cécile Hug ont pour point commun leur rapport au monde: labyrinthiques et discrètes portes d’entrée sur les entrailles et viscères qui sentent. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’image la plus souvent utilisée pour faire référence, et au sexe féminin, et à l’oreille humaine, soit le coquillage: entre végétal et animal, mystérieux aux textures nombreuses, empli de cavités. Capteurs de matière première, attrapant ce que procurent le son et le toucher avant d’être transformés par ma mécanique interne en sensations, voire en émotions, mes organes pourraient, pris séparément comme ils le sont ici, être des entités autonomes. Au lieu d’être simples réceptacles de ce que le monde peut, dans son immense mansuétude, me donner à voir, sentir ou entendre pour le comprendre (et on voit dans quel sens le passage des entre-jambes aux oreilles du corps orchestre est naturel), Cécile Hug nous incite à appréhender nos organes sensoriels comme des lieux cruciaux, fondamentaux. De la figure transitoire à l’orée des mots, de la pensée ou de l’image; des limbes où nos sensations se forment, émerge ainsi l’idée d’un espace. En effet, qui n’a pas déjà eue cette sensation de déjà-vu qui ne s’explique que par le fait que quelque chose dans mon corps a surchauffé, incapable d’assimiler ce qui a été perçu par mes sens? C’est qu’il y a une distance réelle, rendue généralement imperceptible par l’efficacité des transmetteurs qui composent ma technologie humaine, entre ce que je perçois du monde et la façon dont je le perçois. Interstice infime parce qu’invisible: voici en réalité ce qu’explore Cécile Hug. Ce non-lieu sans lequel rien ne se passe. Immensité méconnue d’un labeur dont le résultat seul m’importe. Et émerge enfin l’actualité, l’importance de ce travail.
Cécile Hug
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug
Cécile Hug, L’entre jambe ©
Cécile Hug, le corps orchestre, la marbrerie, 2014
Cécile Hug, Le corps orchestreLa marbrerie, 2014 ©
Bien que toujours sériel, le travail change de l’entre-jambe au corps orchestre. D’une part, on quitte le terrain du lyrisme onirique des scènes paysagères qui composaient la première série: les oreilles du corps orchestre sont des moulages de textures et de couleurs différentes d’une seule et même oreille réelle. En outre, les éléments du corps orchestre s’inscrivent dans un décor, certes changeant puisqu’on peut passer du nid douillet une place à la gigantesque table de marbre couverte de charmantes petites esgourdes, mais très présent tandis que les entre-jambes existent souvent seuls, à même la feuille. La répétition cependant reste – et il serait sûrement possible de trouver son origine dans le geste photographique, pratique « première » de Cécile Hug. Il serait d’ailleurs pertinent de questionner la photographie depuis ce travail qui lui succède – il faudrait par exemple se demander de quel réel on parle. Voir s’il serait plus pertinent d’appréhender la notion de répétition à l’aune de la reproductibilité technique chère à notre époque ou revenir à l’origine de tout geste répétitif chez l’homme: l’obsession(5). Et qu’est-ce que l’obsession, si ce n’est une pensée, une sensation qui me hante, m’irrite mais dont je ne peux me défaire au point qu’elle peut aller jusqu’à envahir ma vie? Et pour s’en défaire, il faut la vaincre, c’est-à-dire la transcender. Multiple et protéiforme, il n’est en ce sens pas étonnant que le travail de Cécile Hug ait intégré le monde délicat des Éditions Derrière la Salle de Bains – et la question de l’endroit du propos artistique de se déplacer ainsi quelque peu pour atteindre celle, tout aussi pertinente, de la réappropriation.
Cécile Hug, Légère avancée, 3
Cécile Hug, Légère avancée ©
Cécile Hug, légère avancée
Cécile Hug, Légère avancée ©
Cécile Hug, légère avancée
Cécile Hug, Légère avancée ©
Cécile Hug, mise en relation, narcisse
Cécile Hug, Mise en relation, Narcisse ©

(1) Malgré des perles comme le magazine « Irène »
(2) « Ceci est mon corps » – exposition au Rialto à Rome
(3) « Versions d’une cicatrice » – exposition à la Casa Siglo XIX au Mexique
(4) Gilles Deleuze, « Qu’est-ce que l’acte de création? » – Conférence donnée dans le cadre des mardis de La Fémis – 17/05/1987
(5) »Idée répétitive et menaçante, s’imposant de façon incoercible à la conscience du sujet, bien que celui-ci en reconnaisse le caractère irrationnel. » Larousse
http://www.boumbang.com/cecile-hug/


Texte de Virginie Megglé, écrivain, psychanalyste 

Cécile Hug, artiste plasticienne - L'entre jambe 



@Cécile Hug

L'entre jambeau fil des sensations   


Il est des espaces féminins, comme des territoires, non pas à conquérir, mais à découvrir  pas à pas ... Tout doucement…  Heureusement...

C’est par la fente d’un pubis que j’ai pénétré, entre imaginaire et réalité, dans celui de Cécile Hug… L'attraction étant délicieuse, je me suis laissée aspirer dans ce qu’elle laissait présager de plaisir intime et savoureux, sans hésitation. Comme si soudain j’avais non pas l’occasion de (me) regarder mais de (me) vivre. D’oser peut-être me découvrir… un peu plus. Et, me faufilant dans les variations créatives que ce lieu du corps a pu inspirer à l’artiste, je me suis trouvée face au sexe non pas en position de voyeur, ni de voyeuse d’ailleurs, mais de vivante voyageuse.
Place à l'hétéroclite, au composite, à l’hybride. Des éléments de nature sauvage, - végétale ou animale -, se côtoient, subtilement agencés sur le papier, pour dire l'indicible de cet endroit du nu, sa transparente fragilité.  Les visions inattendues que nous en propose Cécile par l’intermédiaire de cet assemblage de matières semblent réinventer l’harmonie. Etrange et douce, la sensation de plénitude qui en émane nous renvoie au mystère sans cesse renouvelé de ce coin de l'entre deux qui attire et se retire, entre impossible à voir et désir de montrer ...

Être, c’est devenir, c’est se dire, c’est créer, c’est oser

À l'écoute de l'inconscient tout en découvrant le travail de Cécile, je me sens en syntonie, avec ce que je ressentais, petite et toute jeune fille. Je n’éprouvais alors pas le besoin de parler de mon sexe, mais le désir de le vivre, avant qu’on ne m’intime que je devais en manquer.
Il n'y a pas si longtemps, en effet, au cœur du XX ème, il était courant qu’une petite fille s’entende dire qu'elle n'avait pas de sexe, au prétexte peut-être que le sien ne pouvait s’ériger, tel un menhir, pour revendiquer sa part de virilité ...
Et, Simone de Beauvoir, en 1949, a affirmé le sien, comme étant le deuxième, après celui de l’homme, pour asseoir son pouvoir.
Il s’agissait alors, pour une femme, de ne pas se laisser mépriser et c’est autour de cette absence (de considération masculine) que nombreuses sont celles qui ont tenté de s’affirmer « à l’égal » d’un homme. Du phallus, devenu le signifiant du manque, elles devaient s’en armer… Réflexe compréhensible pour résister à ceux qui refusaient de les considérer à part entière… Mais curieusement il en allait alors comme si une certaine société représentée massivement par le corps masculinfaisait subir, par un détour pervers, aux femmes, la castration même que moult représentants de cette société les accusaient d’opérer sur les hommes ; leur interdisant de fait d’exister à travers une expérience personnelle de la sexualité.
« Les femmes voulaient un sexe d’homme ou n’en auraient pas ! »

Répondant à un élan vital, une autre notion du corps féminin a toujours  voulu se faire connaître. Et la démarche artistique de Cécile Hug nous convainc de son bienfondé ... N'en déplaise aux fondamentalistes de la psychanalyse, en dehors de ses névroses, une femme n'a besoin ni de l'adoubement du mâle ni de son phallus, aussi symbolique soit-il, pour devenir ... Mais d’acter elle-même sa naissance en entérinant son inscription sociale à travers son sexe et la façon dont elle le vit, hors du discours courant.

Il serait alors question ici pour l’artiste, de se découvrir et d’affirmer, aussi joyeusement que possible, sa liberté.
"Je ne me reconnais pas dans l'affirmation d'un "deuxième sexe", dit-elle Ce n'est pas l'égalité  des sexes que je cherche, mais la liberté "...

Vivre c’est éprouver, c’est expérimenter

Ce lieu, ce territoire, n’étant pas naturellement accessible au regard féminin – il ne s’agit pas pour elle de chercher à le voir  (ni d’explorer avec un regard extérieur d’où elle provient)- mais de l’éprouver par tous les sens, sous toutes ses coutures – et de le révéler, l’habiter, le peupler, le dénuder, l’habiller en fonction des émotions et des sensations qu’il lui procure.  Grave et ludique à la fois tout en affirmant pudique son plaisir à créer.

La révélation du sexe féminin et son inscription toute féminine dans le monde de l’art, c’est par touches sensibles qu’elle y procède, avec une sorte d’espiègle ingénuité et un sourire confondant de tendresse qui laissent paradoxalement percevoir sa détermination et l’ambition de sa démarche! Ingénuité, entendons bien le mot, dans son sens premier : qui relève de la nature, de par sa naissance … Qui procède d’un caractère inné, au même titre que naïf, devenu péjoratif dans la bouche de ceux qui, naturels, ont oublié de l’être, à la faveur de quelque prétention à la supériorité culturelle. Comme si la culture devait supplanter la nature !
Il n’est pas anodin que pour accomplir son œuvre, Cécile éprouve le besoin de s’immerger dans la nature… Elle y puise son inspiration et récolte un à un les  éléments qui viendront s’ajouter au trait de son crayon, aux couleurs de ses pastels et composer en une étrange et ravissante communion chacune de ses sculptures imaginées autour de ce V délicat que dessine naturellement l’esquisse prometteuse de l’entrecuisse féminin…

Cécile Hug trace par touches minuscules les contours sensibles de ce territoire, nous emmène dans son infinitude et embarque notre regard … à l'écoute de ses bruissements. 

Ici, c’est la pose délicate, sur le pubis, d'une libellule qui attire notre attention et le frôlement merveilleux de ses ailes transparentes finement imprimées.
Un peu plus loin, ce sera la visite d'un scarabée qui nous étonnera, son avancée sur le sexe et … quelques lignes rouges témoignant de la déchirure, que symbolisent les saignements, comme pour nous rappeler que la grâce féminine ne va pas sans de troublantes manifestations.
Là, l'effleure d'un papillon, sa légèreté bien sûr, son voile, qui nous invite à une discrète indiscrétion tandis qu’il se confond avec la peau et nous confond. Ou bien encore une Edelweiss nous suggérant que le Mont de Vénus a bien quelque chose de l’Everest !  
Et quand la Monnaie du Pape le sublime en un étrange slip, on comprend que rien ne viendra condamner le triangle sacré… Le sexe ici est bon et propre, il sent les champs, la paille, la brindille, la campagne… Et s’il rappelle qu’il peut être douloureux, avec ses règles irrégulières,  ses trainées de sang, ses sensations d’envahissement, de démangeaison, de frottement, l'attention créatrice que l’artiste lui porte apaise…  
Des poils - ou des éléments qui en tiennent fonction -, des brins de folle avoine, de minuscules carapaces d’insectes, des pellicules de « je ne sais quoi », des « pas riens », des « tout juste ça » ... Chaque détail, participant à un désir d’harmonie farouchement défendue, trouve sa place précise. Et quand les couches se superposent c’est toujours avec la même finesse dans l’intention…
Le hasard guide la matière recomposée, des métaphores nous racontent l'imperceptible, le délicat, la montée du plaisir, l’infime caresse… rien n'échappe aux sens que le goût de la vie met en éveil.
C'est avec son corps entier que Cécile Hug se met à l’écoute du monde et compose, de fil en aiguille, ses hymnes à la vie ... Un point en suggère un autre qui en appelle un troisième, on devine comme un procédé musical dans l’alliance des matières ou leur superposition…  

Œuvre d'art with Libellule

"J'ai un amour profond pour mon travail" dit-elle, et de cet amour on ne peut en douter,
Il est si délicieusement contagieux qu'à travers lui on se découvre n'aimant que mieux la vie en son essence primitive rien qu’en observant ce en quoi la nôtre s'origine ...

Certaines femmes ont pu douter de ce qu'elles éprouvaient... Le discours dont elles se sentaient exclues aura eu raison d’elles. Mais ici, aucune hésitation … L’artiste en interrogeant sa propre expérience, avec un bonheur qui défie les lois de la gravité, incite à se mettre aussi gaiement à l'écoute de soi ...  L'oreille se tend et interroge le regard… L’attention portée à ce lieu du féminin laisse entendre de l’inédit. Il est en effet autant question d'écoute que de regard, même si c'est le regard qui nous donne à entendre. Notre perception est sollicitée là où la profondeur affleure. Un frisson d’évidence nous parcourt …

Ni Eros ni Pornos …  On prend un immense plaisir à découvrir ce travail, tout en subtilité, pudique et révélateur à la fois. La jubilation plus ou moins secrète qu’il procure fait acte de foi ! On ne peut douter, en le découvrant, ni de la puissance du plaisir féminin ni de sa spécificité. On sent que son travail comble profondément Cécile Hug. En réponse à un besoin vital …

Le corps féminin s’invite dans le monde et s’invente…

"Avant de me mettre au travail, je réfléchis au sujet", dit-elle. On devine qu'elle réfléchit avec son corps, avec sa chair, avec ses nerfs, avec sa pulpe…« C’est toute la construction de ma féminité ... Le premier poil, les premières règles ... » poursuit-elle. L'imagination féconde de la fillette, de la jeune fille, de la femme, de la mère qu’elle est aussi, témoigne de sa rencontre avec le monde, quand la découverte de l'extérieur enchante l'intérieur, le surprend, le fait frémir, de joie ou d’inquiétude.

Un lien tendre alors se tisse entre l’objet révélé et le spectateur qui le découvre…

"C’est une partie du corps en mouvement, qu'on décide ou pas d'épiler, assez végétal à ce niveau le corps" dit-elle encore, "Un territoire où il se passe plein de choses" ...

L’expression iconoclaste de cette féminité s’anime en moi avec une puissance bien particulière, je pense à toutes ces jeunes filles et ses femmes qui viennent anonymement vers moi, pour se rassurer d'être et échapper aux discours excluant le plaisir.

"Ça me prend le haut du crâne, ça me prend une partie de cerveau", poursuit Cécile.
La tête est sollicitée, fortement,  avant que les mains ne  traduisent ce que ce territoire lui inspire.  Le cerveau joue son rôle de catalyseur transmetteur, quand l’artiste se met au travail, c’est bien avec son être tout entier.

Je vis en partage la force de sa délicatesse sans mièvrerie, l'amour qu'elle a pour ses œuvres, son attachement joyeux. « Celui-là, je me le suis fait pour moi » dira-t-elle d’une de ses pièces.

Ses œuvres sont autant de paysages ouverts sur la sensualité. Je suis émerveillée de ne jamais éprouver le moindre sentiment d’impudeur, au cours de cette incursion dans l’intime où je me sens parfois moi-même fidèlement mise à nue.

La ficelle poilue dit la culotte avec humour ... L'asymétrie rappelle que les sensations ne se passent pas à droite et à gauche de la même façon… Rien n’est immobile …
Le féminin s’invente à plaisir, racontant l’entre-jambe dans le creux duquel nous avons pris naissance, son tracé singulier, à la lisière du dedans et du dehors, du connu et de l’inconnu, de l’inné et du vécu, de l’inspiration et de la matière …   Me voilà rendue aux origines de ma féminité, par ce travail minutieux de couture, de broderie, de dentellière revisité …

D'une enthousiasmante minutie, il s'apparente -  y compris dans le mystère qu'il inclut et l'inconnu qu'il suppose -, à celui qui est à l'origine même de la vie...
Nous sommes des êtres de matières subtiles, subtilement agencées... Prenons chacun naissance dans un univers particulier, tout comme chaque œuvre de Cécile se laisse inspirer par le cadre organique, biologique, naturel, géographique dans lequel il prend vie.
Posant sans cesse la question de l'origine, l'artiste par son travail rend à la naturesa dimension d'œuvre d'art ! Comme si elle voulait nous inviter à reconsidérer la vie, en son essence, avec douceur...

La femme telle qu'elle la révèle entre en écho alors avec le regard tendrement enfantin de Courbet s'attardant avec ses yeux d’homme sur ce lieu de notre intimité que femme nous ne pouvons voir.  Et le travail de Cécile trouve, comme … naturellement, sa place auprès de celui de l’artiste du XIXème, rendant la contemplation amoureuse de Courbet plus encore émouvante. L'homme observe ce lieu étrange et mystérieux d'où il provient... Tandis qu'elle nous invite à le vivre! Elle et lui portés par le même don de curiosité.
... Ainsi va l'origine du monde de Cécile Hug. L’inventivité de son dialogue avec la nature nous propulse dans un univers féminin, peut-être, oui, assurément, mais aussi celui d'une femme ne déniant pas sa part de virilité: c'est-à-dire l'acceptation d’une puissance lui permettant de s'affirmer, ouvertement, avec talent, détermination et intelligence.
Virginie Megglé
Psychanalyste écrivain

Septembre 2014

 @ Cécile Hug


TV5MONDE
Faits de plumes et de poils, l'origine du monde réinventée par Cécile Hug

Article et vidéo d'Isabelle Soler sur le site de Terriennes de TV5 

« L’origine du monde », sulfureux tableau, exposé habituellement au Musée d’Orsay à Paris, qui vient de rejoindre pour quelques semaines le musée Courbet d’Ornans (Doubs), lieu de naissance du peintre, a inspiré des générations d’artistes. Cécile Hug revendique directement cette filiation. Exposée prochainement dans la capitale française, cette artiste plasticienne dédie au pubis féminin un pan de sa jeune carrière. Elle brode, tricote, file des pubis. Les orne d’insectes, de coquillages ou d’herbes folles. Cette partie si décriée de l’anatomie féminine, entre ses doigts agiles, devient oeuvre d’art. 
20.06.2014Isabelle Soler, texte, vidéo, photosLe pubis, attirance et répulsion 

Touffu et sylvestre. Ou glabre et rasé. Exposant, offrant à des regards qui n’en demandent pas tant, l’intimité de la femme, vulve, lèvres, pilosité. Cet entre-jambe avec lequel les femmes elles-mêmes sont si souvent peu à l’aise, Cécile Hug le drape. De douceur ou de mystère. En fait buisson ardent ou conte de fée. Matière organique, un papillon, un scarabée s’y posent. 

Un travail commencé en juin 2013 dans le cadre d'une résidence au Centre d'Art Contemporain de Cacis en Catalogne et qui se poursuit depuis. « La question de l'origine est centrale dans l'entre-jambe. C’est pour moi un retour à la nature, un répertoire sur la biodiversité. Branches, brindilles, feuilles, coquillages, insectes. 
Zoom:
Végétal - l'une des oeuvres exposées à Paris de Cécile Hug
Le poil, heurts et malheurs

Le pubis vu par Cécile Hug est empreint de poésie. Il porte haut sa beauté. Loin de la toison que le conditionnement esthétique, les religions, la mode nous conduisent à considérer avec dégoût.
Ce poil, que dis-je le moindre duvet, a-t-il toujours été traqué sans répit ? On aurait retrouvé les premières pinces à épiler rudimentaires dans des sépultures datant de la préhistoire. C’est dire si cette obsession est profondément ancrée. Si l’Antiquité n’aime que les corps glabres, poils et cheveux deviennent au Moyen-Age symboles de sagesse et de pouvoir. Pour preuve, cette pratique des Mérovingiens coupant les cheveux de ceux qu’ils voulaient écarter du trône.
Au VIIIe siècle, la religion et ses diktats entrent en scène. Symboles de paganisme, barbes et cheveux longs sont à proscrire. Charlemagne adhère et importe dans son empire les coutumes romaines. Les cheveux raccourcissent. Sur le visage, la pilosité se fait plus discrète. Fin des barbes. La tendance est à la moustache.
Pendant ce temps, que font les femmes avec leur pilosité ? Pas grand chose jusqu’aux croisades. Car en Orient conquis par les chevaliers francs, le poil n’a pas la cote. Les princesses orientales s’épilent : front, aisselles et pubis. La cire chaude, ennemie jurée du poil, se répand en Occident.

Ce que cette brève histoire du poil tente d’introduire, c’est la double dimension sociale et politique de cet attribut du corps humain. Deux historiens, Marie-France Auzepy et Joël Cornette, lui ont même consacré une somme : HISTOIRE DU POIL aux Editions Belin. Car il en a connu des hauts et des bas, ce poil, en particulier le poil féminin. Toison maudite symbole de bestialité et de sexualité débridée, disqualifiée au début du 20ème par la mode des bains de mer, interdite de représentation publique jusqu’aux années Giscard, elle revient dans les années hippies comme l’étendard des luttes féministes contre la suprématie mâle. Le poil ne cessera plus d’être cet instrument de revendication. Même si les militantes sont un peu les seules en France à laisser ses luxuriances envahir aisselles, mollets et pubis. On peut être suffragette et avoir les jambes lisses... Tandis qu'en Suède ou en Allemagne, royaumes de la nature reine et du naturisme, rares sont celles qui songent à se raser. 
Zoom:
Laine
Le pubis, terre de conquête 

Comment est-on passé des années yéyé aux années intégrales ? De la « foufoune » au ticket de métro ? La pornographie n’y est pas pour rien. Mais elle n’est pas la seule. Marie-France Auzepy, historienne du poil. « En France, deux causes, qui ne sont absolument pas liées, peuvent expliquer cette mode. La première relève d’un machisme intégré par les femmes : une femme sans poils ne fait pas peur puisqu’elle ressemble à une petite fille. L’épilation du maillot peut également s’expliquer par le développement de la religion musulmane dans l’Hexagone. En effet, dans l’Islam, l’épilation des aisselles et des parties intimes est fortement conseillée, voire obligatoire. » 
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Organique...
Le poil, retour du transgressif

C’est la démarche revendiquée par la Galerie PAPELART, laquelle va exposer à partir du 20 juin 2014 Cécile Hug et d’autres artistes autour du thème « De plumes et de poils ». Orianne Berguemont, l’un des directrices de PAPELART : « Les créations de Cécile nous permettent d’envisager le pubis comme un territoire à habiter, une géographie à la fois personnelle et commune à tous, un lieu de passage et de mutation à l’origine du monde et de notre existence. Un paysage intérieur, extérieur et entre deux. »

Formée à la National Arts School de Sydney en Australie, à la photographie au centre de Formation Professionnelle Supérieur des Arts, Techniques & Métiers à Paris et enfin en lettres et arts à l’Université Paris-Diderot, Cécile Hug a d’abord photographié. Ses propres photos parlent mieux que personne de son actuel travail de plasticienne. Il résulte d’un long parcours de maturation.

Femme, mère et artiste, l’envie progresse de travailler sur son propre corps. Sur - le nom s’est imposé dit-elle avant l’image - son entre-jambe, haut lieu de sa féminité, de sa sexualité et de sa maternité. Mais le chemin est long jusqu’au déclic. Un jour de soleil dans un jardin provincial et tout d’un coup, la sensation que le moment est venu. Le désir, en même temps qu’elle, a mûri.

Dessin au crayon d’abord, choix des matériaux ensuite. Sa production est ensuite importante. Des pubis comme s’il en pleuvait, tout de dentelles, tricots, folles avoines et autres graines. Infiniment doux et féminins. 

"J'aime que tout se fasse en douceur et harmonie"

Durée : 2'08Dessin, recherche des matériaux, assemblage, couleurs, Cécile Hug décrit le processus d'où naissent ces entrejambes tous différents les uns des autres.