Constitués de matière(s), plus ou moins recouverts de plumes ou de poils, l’homme et l’animal se définissent dans leur rapport au monde et au vivant à travers, l’étude et le maintien de leurs textures. Le poil, investi par les artistes de cette exposition dans toute son acception, malmène le spectateur de la grimace de dégoût aux larmes de rire. Lissé, taillé ou épilé, il incarne, dans le même temps, la part animale de l’homme et son désir de maîtriser celle-ci, tandis que les plumes, chez les animaux comme les hommes, offrant parure et bigarrure, revêtent un vent de liberté et d’ailleurs.
Dans le dessin Zone affectée, Noémie Huard procède de l’amputation de ce qui semble être un oiseau. Les pistes sont brouillées, les frontières du figuré narguent celles de l’abstraction. Le triste sort des créatures qui, échouées au sol, peuplent cette œuvre nous interpelle : sommes-nous face à une pandémie, une extermination ? Plus largement, c’est la question de l’acceptation de ce qui se dérobe sous nos mots, informe, indéfini et indéterminé, que pose la jeune artiste lyonnaise invitée par la galerie PAPELART pour la première fois.
Pas plus de repères auxquels s’accrocher dans la série de dessins Dog’s playground de l’artiste Dorian Jude. Ces deux chiens à l’air paisible, qui se confondent au point de ne plus former qu’une seule entité autonome, nous laissent songeurs quant à leur réelle intention… S’agit-il d’un jeu, d’un duel, d’ébats ? Le jeu ne consacre-t-il pas un seul vainqueur ? Le duel ne laisse-t-il pas pour vivant un seul des combattants ? L’amour ne conduit-il pas, très souvent, de perte ou de grâce à la fusion ? Même si dans chacun de ces domaines le pouvoir s’échange, Dorian Jude pose la question claire : peut-on être plusieurs à détenir et incarner le pouvoir ?
S’invitant à la croisée des espèces animale, humaine et végétale, Céline Leroy et Élise Bergamini s’adossent elles, à l’éternelle question de la part animale contenue en chacun de nous pour explorer plus avant encore leur sujet de prédilection : les femmes. Par la confrontation ou, inversement, la fusion des registres du sauvage et du dompté, Céline Leroy invoque les Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés, libérant le cri animal refoulé, retenu et enfoui en elles. Élise Bergamini use quant à elle du procédé de l’exacerbation – plumes apparues sans prévenir, indomptable pilosité – afin de libérer les femmes des canons esthétiques occidentaux qui, depuis de longs siècles d’histoire de l’art, imposent une représentation du corps féminin glabre. Ainsi soumis à l’étrange mécanique du corps et du temps, les personnages féminins de la jeune artiste voient leurs cils et poils pubiens pousser au point de devenir tresse ou pagne.
Tour à tour enjeu de bonnes mœurs, signe d’appartenance sociale et tabou qui confère au corps une force d’attraction intrinsèquement liée à l’idée de répulsion, le poil s’inscrit toujours dans une zone, où, enraciné, il puise sa force. De l’une de ces zones, l’entre-jambe, est née une série de dessins de Cécile Hug, qui en porte le titre. Ces pièces, parce qu’elles sont essentiellement végétales et un brin animales, mais aussi par la nature et les registres que l’artiste convoque, nous permettent d’envisager cette zone comme un territoire à habiter, une géographie à la fois personnelle et commune à tous, un lieu de passage et de mutation à l’origine du monde et de notre existence, un paysage : intérieur, extérieur et entre deux.
C’est au cœur de ce même écheveau de liens qui se tissent entre contextes et sujets que les créatures hybrides de Noémie Sauve se camouflent et s’ensevelissent pour mieux réaffirmer leur appartenance première à une nature puissante et par là indomptable. Ici et là, à travers un Atoll de cerf ou un «Oiseau-montagne», la nature reprend ses droits, à l’instar des phénomènes dévastateurs auxquels la planète est confrontée chaque année.
La vague de poils qui, tel un tsunami, déferle sur la ville dans le dessin de Mathieu Renard instaure un climat inquiétant, propice à la prolifération de créatures noires et velues qui s’immiscent insidieusement dans nos vies - par le biais de photos de scènes du quotidien, banales ou d’images de people, retravaillées au stylo -, à la manière de la rumeur. Renvoyés à cette noirceur propre à la rumeur par l’artiste-éditorialiste à l’humour redoutable, ce sont aux plus tristes épisodes de notre histoire que nous pensons et devant les vies et histoires les plus grotesques que nous rions.
Maryline Robalo et Orianne Beguermont
Faits de plumes et de poils I Exposition collective
PAPELART, galerie
Vernissage le 19 juin, à 18h30 (sur invitation : contact@papel-art.com)
Exposition du 20 juin au 31 juillet 2014